Dans son documentaire Religulous (Religolo en français) l’humoriste américain Bill Maher ridiculise la religion, avec l’irrévérence et l’acuité qui l’ont fait connaître. Après le 11-Septembre, « Politically Incorrect », son talk-show sur la chaîne ABC (groupe Disney), avait été annulé après qu’il eut osé dire que les terroristes n’étaient pas forcément des lâches. Depuis 2003, il propose chaque vendredi soir, sur la chaîne câblée HBO, un autre talk-show satirique et politique, « Real Time with Bill Maher », enregistré en direct et en public dans un studio de Los Angeles. En février, « Real Time… » entamera une nouvelle saison très attendue. Bill Maher a reçu Le Monde 2 le jour même où Barack Obama annonçait que Rick Warren, un pasteur de Californie aux vues homophobes très controversées, prononcerait la prière lors de son investiture.

Que veut dire Religulous, le titre de votre documentaire ?
« Religulous » est une combinaison de religious (religieux) et de ridiculous (ridicule). C’est mon premier documentaire – ce sera le seul –, et j’ai choisi le sujet de la religion. Je n’entame pas une nouvelle carrière au cinéma, j’ai un show télévisé que j’adore faire, c’est vraiment ça, mon truc. Mais depuis mes débuts dans les clubs de comédie, puis à la télévision, je parle de religion, et je suis le seul aux Etats-Unis à en parler… de façon négative – il ne manque pas de gens pour le faire de façon positive. J’ai mis beaucoup de temps à trouver un producteur, un metteur en scène [Larry Charles, qui a réalisé Borat], et à ficeler le tout… La religion est le dernier tabou majeur, vous n’avez même pas le droit d’en discuter.
Que pensez-vous du choix de Rick Warren, un pasteur opposé au mariage gay et à l’avortement, pour conduire la prière lors de l’investiture d’Obama ?
Aux Etats-Unis, la religion est toujours dans l’actualité ! Barack Obama est un homme politique, meilleur que la plupart des hommes politiques, et un être humain meilleur que la plupart, mais il est quand même politicien et, quand il lui faut faire un choix, il choisit la majorité des Américains. Or cette majorité est croyante, et la religion est contre les gays, et d’ailleurs aussi contre les femmes, contre le genre humain en général. Cela ne m’étonne pas qu’Obama choisisse de jeter les homosexuels sous l’autobus… afin d’apaiser la majorité des Américains dont il a besoin à ses côtés, alors qu’il devient président à l’un des pires moments de notre histoire.
Vous ne mettez pas sur le même plan le droit au mariage gay et le droit à l’avortement ?
Personnellement, je distingue ces deux questions. Etre contre les droits des homosexuels et le mariage gay, c’est simplement débile, c’est un préjugé prétendument religieux qui n’est même pas écrit dans la Bible. La question de l’avortement est différente, car on peut être contre sans être croyant. Je sais bien qu’un fœtus n’est pas un être humain, mais je sais aussi qu’il est en train d’en devenir un. On est dans une zone d’ombre, et ça n’a rien à voir avec la religion. Je pense en fonction de mon histoire personnelle. On avait dit à ma mère qu’elle ne pouvait pas avoir d’autre enfant, car elle avait été très malade après la naissance de ma sœur aînée, donc je n’aurais pas dû naître.
Vous avez rencontré Rick Warren pour le documentaire ?
Oui, mais il ne figure pas dans le montage final. Dans les clubs, à mes débuts de comédien de stand-up, je me contentais de lire des extraits de son livre, The Purpose Driven Life (La Vie guidée par un but), et je déchaînais l’audience. Ce livre est hilarant ! Je ne doute pas que Rick Warren, comme tous les croyants, soit atteint d’une maladie neurologique. Mais pour être juste, son état n’est pas aussi sérieux que Jerry Falwell ou Pat Robertson [télévangélistes ultraconservateurs]. Il croit au réchauffement planétaire, il se préoccupe des problèmes sociaux, de la pauvreté ; ce n’est pas un prêcheur de la vieille école, il est plutôt new age, en tout cas un peu plus proche des valeurs enseignées par Jésus. Mais c’est quand même un fêlé qui croit boire le sang du Christ !
Que Barack Obama choisisse Rick Warren, est-ce religieux ou ridicule ?
C’est… religulous ! C’est une décision politique réaliste, pour dire à la droite chrétienne : « Je ne suis pas votre ennemi, je sais que vous n’avez pas voté pour moi, mais regardez ce que je fais pour vous, je fais appel à Rick Warren. » Barack Obama est ainsi fait, c’est un type vraiment intelligent qui veut rassembler – en gardant un ancien de l’administration Bush comme secrétaire à la défense, par exemple –, il veut mettre tout le monde de son côté. Il doit voir large, c’est la seule façon de procéder.
Comment s’est passée la distribution de Religulous aux Etats-Unis ?
Religulous est sorti dans 500 salles dans les grandes agglomérations, mais la plupart des villes américaines ont refusé de le montrer. J’ai reçu des courriers électroniques et des messages sur MySpace de gens qui disaient : « J’aimerais voir votre film, mais le cinéma le plus proche qui le programme est à 400 kilomètres ! » D’autres m’ont affirmé avoir parcouru cette distance pour le voir. Quand vous devez faire tout ce trajet pour voir un film, ça en dit long sur l’état de notre pays, non ? Je suis certain que l’Europe va bien mieux accueillir ce que j’ai à dire, car là, je suis en accord avec la majorité. En Amérique, je vais à contre-courant, je parle au nom d’une infime minorité.
Religulous a-t-il suscité beaucoup de réactions ?
Oh que oui, surtout si vous comptez les menaces de mort ! (Rires.) Et regardez cette petite croix, qu’un type vient de me donner, juste à la sortie des toilettes, dans ces bureaux de Los Angeles ! C’est une façon de me signaler que je fais quelque chose que je ne devrais pas faire, que je suis un bad boy. On me reproche d’être condescendant envers les croyants, mais je trouve que ce sont eux qui sont condescendants envers moi et qui me traitent comme un enfant débile qui ne comprendrait rien ! Et ceux qui ne veulent pas me tuer font preuve de commisération et me lancent : « Un jour vous verrez la lumière ! » On me reproche aussi de n’avoir rencontré que des extrémistes ou des gens stupides, mais c’est faux. J’ai parlé à un sénateur américain, au savant qui a découvert le génome humain, à un prêtre du Vatican… Mes critiques reposent sur cette illusion qu’il existerait une personne mythique qui puisse défendre la religion tout en ayant l’air intelligent, mais c’est impossible de défendre intelligemment toutes ces bêtises qu’on lit dans la Bible ou le Coran…
Que vouliez-vous accomplir avec ce documentaire ?
Les Américains, même croyants, doivent retrouver la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Je ne sais pas si, dans notre pays, on comprend qu’une grande partie de l’ignorance de George W. Bush provient de sa foi religieuse fervente. C’est ce que nous essayons de montrer dans ce documentaire – où Bush dit qu’il aligne sa politique étrangère sur sa foi religieuse. S’il a beaucoup prié pour l’Irak, il n’a jamais rien appris sur le sujet. Et je veux que les gens sortent de ce film avec ce message : ceux qui croient que prier est efficace pensent aussi qu’ils sont dispensés d’apprendre quoi que ce soit. Bush n’a jamais rien appris sur les chiites et les sunnites, des… détails pour lui ! Il préférait parler à Jésus, ça lui suffisait ! Hélas ! Je crains de ne pas connaître de mon vivant une Amérique séculière, comme l’Europe, mais j’espère que ce jour-là on se souviendra du rôle de ce documentaire.
Pourquoi vous limiter à certaines religions ?
Les Américains ignorent les religions orientales, qui ne sont pas vraiment des religions organisées d’ailleurs. Je ne considère pas le bouddhisme comme une religion. Bouddha n’arrêtait pas de dire : « Ne faites pas de moi un dieu. » Tous les hommes politiques américains, Barack Obama compris, ponctuent leurs discours d’un « God Bless America » ! Mais il y a pire : on ne peut pas devenir président sans dire aux Américains, et en ces termes-là, qu’on est  » guidé par sa foi « . Moi, j’espère que, sur ce point-là, Barack Obama ment quand il dit être « guidé parsa foi » ! D’ailleurs, c’est ce que j’ai répondu publiquement sur la chaîne Fox News. C’est la question essentielle que pose mon documentaire : pourquoi est-ce bon de croire ? Si cela signifie que vous renoncez à votre intelligence critique, en quoi la foi peut-elle être une bonne chose ?
Peut-on craindre une présidence sans humour ? Pendant la campagne, les médias et les humoristes ont ménagé Barack Obama…
Pas moi, jamais. Je ne ménage jamais personne ! Si j’étais à l’antenne aujourd’hui, alors qu’il vient d’annoncer son choix de Rick Warren pour la prière de l’investiture, j’en aurais, des choses à dire ! De toute façon, à peine élu, les républicains vont l’attaquer de façon virulente, Rush Limbaugh [un animateur de radio ultraconservateur] parle déjà de la « récession Obama », alors qu’il n’est même pas au pouvoir. Mais ce n’est pas parce que nous l’aimons – et nous l’aimons ! – qu’il va s’en tirer à bon compte.
Vous êtes athée pour la vie ?
J’espère ne pas être lâche sur mon lit de mort, et craquer au dernier moment. On raconte qu’on a trouvé l’humoriste W. C. Fields, férocement athée toute sa vie, lisant la Bible sur son lit de mort. Un ami lui a demandé ce qu’il faisait et il a répondu : « Je cherche la faille ! »
Claudine Mulard

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