Alan Turing est une des grandes figures oubliées du XXiè s. Il est pourtant le père des ordinateurs modernes, au moins pour leur partie théorique. Sa contribution à la victoire des alliés pendant la Seconde Guerre Mondiale est décisive. Mais un suicide prématuré, peut-être « encouragé » par les autorités britanniques, l’a plongé dans l’anonymat de l’histoire.

Alan Mathison Turing est né le 23 mai 1912 à Londres. Son père est collecteur d’impôts aux Indes, sa mère part le rejoindre en 1913, laissant le petit Turing voyager de tuteurs en pensionnat durant toute son enfance. Turing n’est pas un élève très brillant. Ses professeurs le décrivent comme brouillon, inattentif. A l’âge de 15 ans, il rencontre Christopher Morton, interne comme lui, avec lequel il partage la même passion des sciences. Cette relation est un peu ambigüe, car d’un côté il semble que les sentiments s’appellent amour, et de l’autre simplement amitié. Mais Christopher décède en février 1930, laissant Turing désemparé.

Ce dernier réussit pourtant en 1931 l’examen d’entrée au très sélectif King’s College de Cambridge. Il va s’y épanouir, car personne là-bas ne raille son homosexualité, son apparence décalée. Chacun, dit-on là-bas, doit être ce qu’il est. Outre au sport, qu’il pratique à haut niveau, Turing s’intéresse aux travaux de mécanique quantique de John Von Neumann, ce qui l’amène à étudier les probabilités et la logique. En 1935, il met au point le concept d’une machine universelle, qui formalise la notion de problème résoluble par un algorithme. Cette machine de Turing est capable de calculer tout ce qu’un processus algorithmique est capable de faire. Par essence même, les ordinateurs modernes sont des réalisations concrètes des machines de Turing.

En 1936, Turing part faire son doctorat à Princeton (Etats-Unis). Assistant à la montée du nazisme, il se rapproche des milieux pacifistes, sans pour autant fréquenter les marxistes. De retour en Angleterre en 1938, il est enrôlé par l’armée anglaise sitôt la guerre commencée. Attardons-nous quelque peu sur cette période. L’armée allemande remporte au début de la Seconde Guerre Mondiale de nombreuses victoires dans les mers. Une des clés de ces victoires est la machine Enigma, une machine à coder électro-magnétique, qui permet à l’état major allemand de transmettre à ses sous-marins des messages indéchiffrables par les services secrets alliés. L’armée britannique réunit alors, dans un lieu tenu secret, 10.000 personnes, essentiellement des « petites mains » – c’est-à-dire des secrétaires chargées des tâches rébarbatives – mais aussi des chercheurs des joueurs d’échecs, etc… afin de tout faire pour comprendre le mécanisme de la machine Enigma. Avec un autre mathématicien, Welchman, Turing est à la pointe de ces travaux de recherche, et avant la fin de la guerre, il conçoit une machine électronique, le Kolossus, qui permet de décrypter tous les messages allemands.

Après la guerre, Turing travaille à l’institut de Physique de Grande-Bretagne à la conception des premiers ordinateurs. Il s’intéresse aussi à la biologie, et particulièrement aux connexions neuronales, avec en toile de fond la question : pourquoi les machines, si douées pour effectuer des calculs rébarbatifs à l’homme, sont-elles si gênées pour simuler les actions les plus naturelles de l’être humain (marcher, prendre un verre…).

Les moeurs homosexuelles de Turing gênent beaucoup dans la prude Angleterre de la guerre froide, d’autant que les services secrets, pour lesquels il travaille encore sans doute, se méfient des confidences sur l’oreiller qu’il pourrait faire à un espion russe formé à cela. A la suite d’une sombre histoire de cambriolage (dont au départ c’est lui la victime), Turing est condamné pour ses pratiques sexuelles. Pour échapper à la prison, il doit subir un traitement de castration chimique par prise d’oestrogènes, dont un des effets secondaires est de développer sa poitrine. Le 7 juin 1954, il croque une pomme qu’il a préalablement trempée dans une solution de cyanure, et il est retrouvé mort le lendemain, l’écume aux lèvres. Ce geste lui aurait été inspiré par Blanche Neige et les 7 Nains, où dans une scène la méchante sorcière trempe une pomme dans le bouillon empoisonné. Certains disent aussi que le logo d’Apple, une petite pomme croquée, serait un clin d’oeil au destin tragique de Turing.

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