Auteur compositeur interprète de talent, Zazie a réussi à devenir, en à peine 10 ans de carrière, l’une des figures majeures du microcosme de la pop française. Tout comme l’irrévérencieuse héroïne de Queneau, Zazie n’en fait qu’à sa tête et c’est tant mieux pour nous. Ne respectant que ses propres règles elle sort aujourd’hui son quatrième album studio,  » La Zizanie « , qui marque un virage vers l’électronique encore plus appuyé que son prédécesseur,  » Made In Love « , tout en restant toujours aussi humain. Un disque vivifiant qui flanque des coups là ou ça fait mal, et baptisé  » La Zizanie  » en hommage à un petit groupe d’irréductibles gaulois bien célèbres. Sans l’ombre d’un doute, l’un des albums les plus marquants de l’année 2001. L’occasion aussi de s’entretenir longuement avec la belle…

 » La Zizanie  » est très homogène. Il n’y a ni temps mort ni temps faible. Avez-vous beaucoup composé pour le disque ?

Il n’y a pas eu de chutes. J’ai composé 14 chansons et il y en a 13 sur l’album. Je trouve indécent de faire un album avec juste deux bonnes chansons. [Rires] Ce qui arrive un petit peu trop souvent. Un album c’est cher, c’est quand même encore un objet de luxe pour plein de gens et, la moindre des choses c’est d’essayer de faire plus de deux chansons qui tiennent la route. Après évidemment, les gens aiment ou pas, mais il faut au moins être exigent envers soi-même.

Je me souviens avoir lu que vous aviez composé une chanson qui s’appelait  » Bordel de Merde « …

 » Putain de Merde  » plus exactement. [Rires]

Donc c’était bien vrai ?

Oui, je voulais la mettre en face cachée, en morceau fantôme.

Un peu comme les  » moutons  » de  » Zen  » ?

Exactement ! Mais j’ai pas eu le temps [rires], donc je l’ai mise de coté pour l’album suivant. Enfin j’espère. C’est une chanson un peu rigolote, mais qui dit deux trois petites choses en même temps.

J’ai aussi lu qu’au moment de la sortie de  » Zen « , vous vouliez appeler l’album  » Zazizanie « …

Oui. J’avais le titre depuis longtemps. Je l’aurai appelé  » La Zazizanie  » si il y avait eu un concept. Mais c’est davantage une suite de chansons qui correspondent à des moments, qu’une histoire suivie comme dans le  » Melody Nelson  » de Gainsbourg. En plus je trouve ça un peu prétentieux, comme si je disais :  » Bon ben maintenant je peux me passer de mettre mon prénom sur la pochette alors je vais vous le mettre directement dans le titre !  » [Rires]

Personnellement je trouve que le titre colle bien au disque, chacun des morceaux semant la zizanie à sa façon. Comme  » Adam et Yves « . Votre fan-base hardcore, comme on dit, est plutôt gay : ce titre, c’est comme un cadeau, non ?

C’est vrai que dans mon public il y a pas mal d’homos. Mais je n’avais pas forcément envie de faire une chanson sur la question. Sauf que je suis tombée par hasard sur ce texte.

Seul texte de l’album qui n’est pas de vous…

Oui. Quand j’ai lu  » Adam et Yves « , je dois dire que ça m’a agacée, parce que c’est tellement bien vu. J’aurai aimé l’écrire. Mais ce n’est pas de moi, tant pis, raté ! [Rires] Du coup j’ai cherché qui l’avait écrit et si c’était possible d’en faire une chanson. Et voilà, on l’a composée avec Joëlle Kopf. J’ai l’impression qu’on parle toujours d’homosexualité en parlant de Drag Queens, de caricature ou de sida. L’homosexualité c’est aussi des sentiments, un quotidien, comme descendre la poubelle, des choses de base quoi. Et  » Adam et Yves  » avait un peu dans son titre le côté :  » et si le serpent avait proposé… une banane au lieu d’une pomme ! » [Rires] Ça donne  » Adam Et Yves « .

Du coup, vous devenez une des rares artistes pop à chanter l’amour entre garçons de façon aussi claire et positive.

Oui, et en même temps, je voulais en faire une chanson légère et pas une ballade où tout le monde pleure à la fin. Ça a déjà été fait, et très bien, par des gens comme Aznavour. Ça me faisait plutôt rire d’essayer de mettre la chanson dans un contexte un peu techno, un peu ludique. Parce que c’est aussi ça l’homosexualité. Quand je donne des concerts, les trois premiers rangs, où on compte plus d’un homo [rires], mettent une ambiance assez sympa.

Parlons de  » Sur Toi « . Si vous l’avez écrite pour quelqu’un, ce doit être la personne la plus heureuse de la terre.

Je l’ai écrite pour quelqu’un…

C’est donc autobiographique ?

Vous savez, on dit toujours que quand tout va bien, on n’a pas besoin d’en parler. Et moi, en voulant écrire une chanson à mon amoureux, je me suis rendue compte que j’avais du mal, que mon inspiration était plutôt dans les failles, les faiblesses, les mal-dits, les non- dits, les colères, les agacements. Ce qui ne veut pas dire que c’est dimanche tous les jours non plus! [Rires] Du coup, je lui ai écrit une chanson en lui disant que je n’allais pas lui en écrire une…

Ce qui donne une sublime déclaration d’amour ! Par rapport aux textes, justement, certaines de vos influences apparaissent comme évidentes : Gainsbourg, Prévert, Lafontaine… Y’a-t-il d’autres artistes qui vous ont donné envie d’écrire ?

En France : Brel, Souchon, Goldman. Sinon Peter Gabriel ou Radiohead. Kate Bush également, mais plus au niveau musical. Je pense que les gens qu’on écoute ne reflètent pas forcément ce qu’on fait. C’est vrai qu’on est influencé malgré soi, plus ou moins consciemment. Mais j’aime penser que l’écriture reste toujours subjective, qu’elle consiste à ne pas faire comme les politiciens, être dans le consensus et dire  » votez machin « . Les chansons ne délivrent pas de messages, pas plus qu’elles ne prophétisent quoi que ce soit. Quand je donne mon avis, j’essaye d’avoir l’honnêteté de donner vraiment le mien. Pour moi c’est déjà un constat de sérénité.

Surtout vis-à-vis d’une partie de la pop actuelle, en France, qui prend peu de risques dans les textes.

Exactement, c’est très formaté. Mais c’est aussi un phénomène de génération. On ne peut pas dire : les bons artistes sont personnels et les mauvais sont formatés. Ce n’est malheureusement pas aussi simple. On est en train d’assister à une espèce de mutation du chanteur ou de la chanteuse et, même si en France on a encore (heureusement) cette culture de mots, de textes, de choses à dire, il y a aussi tout un tas de gens qui n’écoutent pas Brassens, Brel ou Barbara. Ils écoutent Britney Spears and co. Et donc, forcément, quand ils grandissent, ils veulent ressembler à Britney Spears plutôt qu’à Barbara.

Des écoles débordant de hordes de petites Britney Spears… Ça fait peur !

Oui ! C’est clair ! On vit, et c’est le propos de  » Rue de la Paix « , dans un monde plus axé sur le résultat financier des choses que sur leur beauté. Il y a pourtant une vraie beauté dans la gratuité des choses… Même si je reste consciente qu’en étant dans une major, je profite du système. Mais c’est bien de parler d’un système en étant dedans.

Par quoi commencez-vous le travail sur une chanson ? Le texte, la musique ?

La musique, toujours. Je n’ai pratiquement jamais écrit un texte en premier. Si ! Pour Patricia Kaas. Et pour Johnny, avec  » Allumer le Feu « . Mais on avait un cahier des charges, il fallait écrire l’ouverture du Stade de France.

Vous semblez réglée comme une horloge, un album studio tous les 3 ans. Est-ce voulu ou est-ce le hasard ?

Ah bon ? [Rires] Je vous jure que ce n’est pas du tout prémédité. La gestation peut durer deux mois comme un an. Dans le cas de  » La Zizanie « , ça a duré très longtemps, je suis pas mal restée dans cette phase un peu dépressive où on regarde les choses et où on ne fait rien. Puis, j’ai du faire toutes les chansons en deux ou trois mois, alors que sur  » Zen  » il m’avait fallu un an. Je ne suis pas productive tout le temps. Il n’y a pas de formule. Peut être qu’un jour je ferai un disque tous les ans. Ou bien un tous les10 ans ! [Rires] Mais j’essaye d’être vigilante. Entre le moment où je compose et le moment où les gens peuvent écouter le résultat il ne se passe pas quarante ans. Je n’ai pas l’ombre d’une chanson dans mes tiroirs.

Hormis Pierre Jaconelli et Olivier Schultheis, il semble que votre équipe ait changé. Est-ce que ça a un rapport avec l’approche très électronique de  » La Zizanie  » ?

Complètement. J’aime bien la musique électronique, Daft Punk, Prodigy, les Chemical Brothers. Et j’avais le fantasme d’en mettre dans mes albums. Sauf que je ne sais pas du tout faire ça. [Rires] Donc, plutôt que de faire n’importe quoi, j’ai essayé de m’entourer de gens qui ont du savoir faire en la matière. Jean-Pierre Pilot, qui a fait les programmations, a par exemple une culture rock. Il a travaillé avec Bashung ou Indochine, mais il est en même temps très dans son temps, il va sur Internet chercher des bidules et des machins. Il nous a vraiment beaucoup apporté.

Va-t-on avoir droit à des remixes sur les singles ?

Oui, quand on a un peu plus confiance en soi, on peut commencer à filer sa chanson aux autres en leur disant  » amusez vous et tordez la « . C’est très ludique. Après, j’ai aussi un droit de regard, et si les remixes ne me plaisent pas, ils ne sortiront pas.

L’intro de  » La Zizanie  » évoque un peu la musique de Air et  » Cheese  » celle de Massive Attack…

Vous avez raison. Quand j’ai réécouté Massive Attack après avoir fini  » Cheese  » je me suis dis :  » Quand même, tu exagères !  » [Rires] Mais c’est de la musique populaire et on n’échappe pas à la popularité des autres. Parfois, quand on a un peu trop aimé un album il y a des choses qui transpirent. Je trouvais qu’un aspect un peu  » trip-hopien  » collait bien avec  » Cheese « . Pour Air, je ne sais pas parce que je n’ai pas écouté leur album. Donc là je n’ai rien piqué ! [Rires]

Chacun de vos trois derniers albums studio comprend une merveille co-écrite avec Phil Baron. Parlez-moi de votre collaboration.

C’est mon frère. Il n’est pas du tout dans ce métier mais, de temps en temps, il écrit des instrumentaux à tomber. Il joue de l’accordéon et un peu de guitare. A l’origine  » J’envoie Valser  » était une valse qu’il avait composée pour le mariage de copains. Je lui ai juste proposé de mettre des mots dessus. Même chose pour  » Qui m’Aime Me Fuit « , il m’a envoyé un thème qui aurait été parfait pour une musique de film et moi je lui ai proposé d’en faire une chanson.

La chanson évoque un peu les musiques de films de Ryuichi Sakamoto.

Oui, j’avais d’ailleurs adoré son album  » Beauty « . Je trouve que les cordes sont souvent sous-employées dans la pop. Personnellement, j’aime leur donner plus d’importance, c’est pour ça que je voulais avoir une chanson uniquement cordes/voix.

La pochette de  » La Zizanie  » est de Jean-Baptiste Mondino, mais qui est le monsieur sur la photo ?

C’est Mondino ! On a beaucoup ri ! Il a fait la lumière et le cadre puis a demandé à son assistant d’appuyer sur le bouton. On était partis sur l’idée d’une main qui m’étrangle et c’était censé être celle de son assistant. Sauf qu’il avait une très belle main, très féminine et qu’on voulait plutôt une paluche. On a donc pris celle de Mondino. Puis on a décliné : sa tête, un bout de bras, sa jambe. [Rires] Il est bien fichu en plus !

Qui a réalisé le clip de  » Rue De La Paix  » ?

Specimen. Ce sont deux réalisateurs et une équipe de fous furieux assez jeunes qui m’ont proposé un truc vraiment bien, qui allait plus avec le cynisme de la chanson qu’avec son coté  » Tagada Tsoin Tsoin Youpla Boum « .

A-t-on une chance de voir sortir un jour la musique que vous avez composée pour le film  » Tout Doit Disparaître  » ?

Je ne crois pas. Sincèrement je ne suis pas sûre que ce soit un très bon film. [Rires] J’aimerais bien sortir la musique de manière rigolote, comme par exemple via mon site web. Mais, même pour l’exploiter gratuitement, il faut d’abord récupérer les droits.

Une tournée en vue ?

Oui, mais je ne sais pas du tout quand. J’essaye d’obtenir un accord pour présenter quelque chose d’original, qui mérite un peu de travail et de répétitions.

Une autre chanteuse, un peu électronique, est également présente dans ce numéro : Robert. Que pensez-vous du personnage et de sa musique?

Je ne connais pas ce qu’elle fait en ce moment, mais j’aimais beaucoup  » Elle Se Promène « . Il y avait un petit coté  » Kate Bushien  » qui me plaisait bien. Je suis contente quand il y a des filles qui arrivent, surtout si elles ne sont pas formatées. Robert a l’air d’avoir un univers bien personnel et je trouve ça intéressant.

Discographie :

–  » Je, Tu, Ils  » (1992)
–  » Zen  » (1995)
–  » Made In Love (1998)
–  » Made In Live  » (1999) : l’album live du Tour des Anges
–  » La Zizanie  » (2001).

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