La boussole d’or : à en perdre le Nord!!!
Beaucoup de choses ont été dites à propos du contenu anti-religieux-anti-catholique-anti-clérical-anti-vatican-anti-pape-pro-athéisme-pro-révolution-pro-sorcellerie etc. Excusez-moi si le dernier mot est long, mais je n’ai pas eu le choix d’en composer un puisque les informations qui sont diffusées à ce sujet sont assez mélangées et, à la suite de mes diverses lectures d’articles de journaux traitant de ce sujet, je dois avouer que je me retrouve dans un salmigondis de pensées différentes émanant de groupes différents et il devient tellement difficile de s’y retrouver.
Aujourd’hui, en allant sur le site du Diocèse de Montréal, j’ai trouvé un lien menant à un article fort intéressant. Celui-ci émane du groupe SIGNIS, groupe catholique qui se définit sur son site.
Cela peut paraître rebutant à première vue, mais dans tout ce que j’ai lu à propos du film tiré des livres de Pullman, il me semble que cet article soit le plus intègre que j’ai lu. Chose assez bizarre me direz-vous, puisqu’il émane directement d’une organisation religieuse. Cependant, c’est le seul article où j’ai pu lire le nom des groupes qui avaient descendu le film pour des raisons religieuses (ce sont surtout des groupes extrémistes!).
Il est par ailleurs intéressant de constater à quel point ces groupes utilisent le même vocabulaire que Pullman utilise dans son histoire pour évoquer la bêtise de la religion organisée. Pullman, utilise un langage martial, les groupes religieux font de même en parlant des livres comme de « munitions » pour répandre l’athéisme.
Bref, c’est à lire, puisque c’est un article qui aide à forger sa propre opinion (quoique la mienne était faite bien avant que le film sorte !!!)
Voici le communiqué dans son intégralité.
« La boussole d’or » : communiqué officiel de SIGNIS
Londres, 25 novembre 2007 (Peter Malone) –
D’ordinaire, il y aurait peu de raison pour SIGNIS de prendre position vis-à -vis de La boussole d’or. Il s’agit ni plus ni moins du dernier d’une série de films fantastiques ou Heroic Fantasy qui ont envahis les écrans depuis 2001, pour le plus grand plaisir de millions de spectateurs.
Cette année-là , Le Seigneur des Anneaux avait ouvert la voie, suivi du premier film d’Harry Potter . Depuis, la trilogie de l’Anneau s’est clôturée en 2003, alors que la franchise Harry Potter en est à son cinquième film, le sixième étant prévu pour 2008. Puis il y eut Narnia en 2005 (dont la suite, Prince Caspian , sortira en 2008), le très réussi Bridges to Terabithia et les moins réussis Eragon et Dark is Rising . La plupart de ces films sont adaptés d’auteurs en vue, voire très célèbres : J.R.R. Tolkien, J.K.Rowling, C.S. Lewis et, dans le cas qui nous occupe, Philip Pullman.
C’est en fait la personnalité de ce dernier qui a suscité une controverse, particulièrement aux États-Unis, et qui a mené à la publication de lettres, sites Internet, blogs et e-mails incendiaires avant même la sortie du film.
Avant d’aborder les idées de Philip Pullman et ses romans, il est important de parler du film en lui-même.
Le film
La boussole d’or est un film d’une grande qualité technique et scénaristique, dont la vision requiert une certaine attention et un certain vocabulaire – le mot « métaphysique » est notamment cité plusieurs fois dans des dialogues qu’on pourrait qualifier d’érudits. Au niveau visuel, décors, graphisme, effets spéciaux et costumes, comme ceux créés pour le personnage de Nicole Kidman, sont superbes. La distribution est également un point fort du film. Dakota Blue Richards est Lyra, l’héroïne qui, aux côtés de son daemon Pan (nous reviendrons sur ce mot plus loin), qui est la version externe, la manifestation physique de son âme avec laquelle elle peut parler et échanger des idées, est prête à affronter tous les dangers – et les affrontera effectivement. Le talentueux jeune acteur Freddie Highmore prête sa voix à Pan. La boussole d’or en elle-m’me est un puissant mécanisme capable de révéler les vérités que d’autres veulent cacher.
En dehors de Nicole Kidman, apparemment ravie d’avoir la possibilité d’être à la fois glamour, charmeuse et diabolique, on retrouve Daniel Craig dans le rôle de Lord Asriel, Sam Elliott, égal à lui-même et à ses rôles dans de nombreux westerns, et une longue liste de comédiens britanniques prestigieux dont Derek Jacobi, Christopher Lee, Claire Higgins, Tom Courteney, Jim Carter et les voix de Ian McKellen (particulièrement héroïque) et Ian McShane (diabolique) dans les rôles des rois ours rivaux. Sans aucun doute, la réalisation est de haut vol. Il est intéressant, et peut-être surprenant, de constater qu’elle est l’oeuvre d’un américain, Chris Weitz, qui signe également l’adaptation du roman de Pullman. Après avoir été l’assistant de son frère sur des comédies comme American Pie ou Down to Earth , Chris Weitz s’est rendu en Angleterre pour tourner l’adaptation du roman de Nick Hornsby, About a Boy . Il a apparemment pris goût à l’univers anglais.
Si on la compare avec les films évoqués plus haut, ce que les amateurs du genre ne manqueront pas de faire avec délectation, on pourrait dire que l’intrigue propose des variations sur les mêmes thèmes. Bien sûr, il y a la lutte entre le bien et le mal – dans des locations lointaines et exotiques, comme dans le Seigneur des Anneaux . Comme dans Harry Potter , le personnage principal est jeune, vit dans un collège, et pratique des activités surnaturelles. Il s’agit cette fois d’une jeune fille, sorte de Hermione de la classe ouvrière. Le roi ours, une créature imposante, rappelle le lion Aslan dans Narnia . Il existe une véritable continuité dans l’imaginaire de tous ces films.
Avec une jeune fille comme personnage principal et de nombreuses séquences d’action, La boussole d’or devrait toucher son public cible de jeunes filles et garçons, et sans doute plaire également à bon nombre d’adultes (qui devront sans doute demander à leurs enfants de les éclairer sur certaines facettes de l’intrigue et des personnages).
Quelques aspects du film peuvent faire sourciller notre sensibilité religieuse. L’ouverture du film évoque des mondes parallèles, une caractéristique des meilleurs films du genre. Dans notre monde, nos âmes sont à l’intérieur de nous. Dans le monde parallèle, notre âme existe de manière externe, sous la forme d’un animal symbolique appelé daemon (non un démon mais un « esprit », dans le sens étymologique du terme).
L’autre mot important du film est le Magisterium. Il y désigne l’organisation gouvernementale autoritaire et toute-puissante dont le but est d’éradiquer la liberté de pensée afin que tout le monde, en particulier les enfants qu’ils enlèvent et sur lesquels ils expérimentent, perde son daemon et devienne totalement conformiste, et heureux de l’être. La science-fiction a traité ce sujet dans de nombreux films, notamment les différentes versions de l’Invasion des profanateurs de sépultures . Les dirigeants du Magisterium, incarnés par Derek Jacobi et Christopher Lee, rejettent la liberté et la tolérance en les qualifiant d’hérésie. Le mot Magisterium (magistère) qualifie, bien sûr, l’autorité doctrinale de l’Église catholique. On peut donc y voir une critique manifeste de la religion catholique, bien que, comme nous le verrons plus loin, Philip Pullman ne se définit pas comme anti-catholique mais comme opposé à toute forme de religion rigide et autoritaire.
La polémique
Aux États-Unis, la Catholic League for Religious and Civil Rights (Ligue catholique pour les droits civiques et religieux), a lancé une campagne contre le film trois mois avant sa sortie. Elle a publié et largement diffusé un fascicule critique sur les positions de l’auteur, Philip Pullman et, par extension, de ses romans. Il s’intitule The Golden Compass : Agenda Unmasked (La boussole d’or : intentions dévoilées). Le responsable de cette Ligue, William Donohue, a mis en ligne beaucoup de documents sur ses sites Internet et a été invité dans de nombreuses émissions télévisées américaines. Un peu partout dans le monde, certains flairant la polémique ou la croisade, ou simplement ravis par ces allégations, ont envoyés des courriers, notamment par courriels, mettant en garde contre les dangers de ce film, accompagnés de dénonciations personnelles. Comme dans toute controverse et campagne, les attaques de ceux qui n’ont pas vu le film discréditent toute croisade, qu’elle soit justifiée ou non.
Comme ce fut le cas à propos de la magie et de la sorcellerie dans les romans d’Harry Potter (bien que ces sujets soient peu abordés par Tolkien et Lewis), certains parents se sont inquiétés devant le ton alarmiste des messages qu’ils recevaient. Deux semaines avant la sortie de La boussole d’or , le message suivant fut diffusé par Internet :
« Tous ces éloges sur le livre, qui est pire que le film, me rendent malade. J’ai désormais le sentiment que je dois avertir le plus de gens possible, et notamment les parents, que le livre et le film sont écoeurants et diaboliques. Cet auteur épouvantable me rend malade parce que j’ai été choisi par Notre Seigneur pour apporter son merveilleux enseignement à nos chers petits et que j’en suis fier. Je suis catéchiste, préparant les petits à leur Sainte première communion. »
« … Je prie pour que tous ceux qui ont lu ce que j’ai écrit dans notre bulletin me soutiennent comme ceux de ma paroisse. On m’a conseillé d’écrire pour révéler cette horreur au plus grand nombre et demander toute l’aide possible pour emp’cher que cette oeuvre diabolique soit lue ou vue par nos enfants. »
« Je m’excuse pour tant de rage mais le monde est déjà si dangereux pour nos enfants qu’ils n’ont pas besoin de ces incroyants malades et j’alerte le plus de personnes possible, y compris mon évêque … et notre Saint Père. »
Les sites Internet de la Ligue catholique indiquent que le film a été adouci pour ne « pas heurter les catholiques et les protestants ». Comme nous l’avons déjà dit, il n’y a rien dans le film qui puisse donner matière à quelconque thèse théiste ou athéiste.
Ce qui pose problème est que Philip Pullman soit un athée « déclaré », en comparaison avec Tolkien et Lewis qui sont des « chrétiens déclarés ». Ce que Pullman a dit lors de passages à la télévision ou dans les médias sur son athéisme, sa critique de l’autoritarisme chrétien et sur son (prétendu) désir que les enfants s’ouvrent à l’athéisme, ont offert une voie royale pour une charge offensive, par écrit et dans une vidéo de William Donohue qui peut être téléchargée. Tout en admettant que le film n’est ni offensant ni déstabilisant, il exprime son inquiétude face à la réaction des enfants qui, n’ayant pas lu les romans, voudront le faire après avoir vu le film et seront donc en danger d’être séduits par l’athéisme. Inquiétude qui a surpris les catholiques respectables qui ont lu le livre et que j’ai interrogé. Bien sûr, d’autres affirmeront qu’il y a dans ces romans cette intention athéiste.
Extraits du site de la Ligue catholique : « Il est important que tous les chrétiens lisent ce fascicule, surtout ceux qui ont des enfants ou des petits-enfants. Ils seront ainsi en possession des munitions nécessaires pour convaincre leurs familles et amis qu’il n’y a rien d’innocent dans les intentions de Pullman. Bien que le film soit vraisemblablement dépourvu de tout ce qui peut prêter à polémique, il incitera sans doute à acheter la trilogie de Pullman, À la croisée des mondes. Et n’oubliez pas que son double objectif est de promouvoir l’athéisme et de dénigrer le christianisme. Auprès des enfants. » Et c’est vu comme une « campagne modérée ».
Le président de l’American National Secular Society (Société nationale américain laïque) précise pourtant qu’en adoucissant le film, notamment en ce qui concerne le Magisterium, « on en enlevé l’essence mëme, dénuant le propos de son fondement, véritable castration » (cf. site Internet Christianity Today.)
Le réalisateur Chris Weitz dit à ce sujet : « Dans les romans, le Magisterium représente une version de l’Église catholique totalement déconnectée de ses racines. Si c’est ce qui vous intéresse dans le film, vous allez être déçus. Nous avons ouvert à d’autres interprétations ce que le Magisterium représente. Philip Pullman est contre toute forme de dogme institutionnalisé que ce soit celui de l’Église ou celui des Soviets. »
Pour mieux saisir le ton de cette campagne, qui s’exprime avec indignation et parfois ironie, les internautes visiteront le site de la Ligue. Un extrait datant du 2 novembre dernier :
Lâauteur Philip Pullman
« Dans l’émission Today de ce matin, l’athéiste anglais Philip Pullman répondait aux questions de Al Rocker, sur sa trilogie À la croisée des mondes, et à propos du film inspiré du premier tome, La boussole d’or qui sort le 7 décembre (aux Etats-Unis). Rocker parle des attaques de la Ligue catholique accusant l’oeuvre de Pullman de vendre de « l’athéisme pour les enfants ». Voici la réponse de Philip Pullman : « Vous savez que je n’accorde aucun crédit à ceux qui nous disent comment on doit penser. Ils savent tout mieux que nous, comment on doit comprendre les livres et pourquoi, et comment nous devrions les lire et s’il faut les lire ou non. Je ne trouve pas que ce soit très démocratique. Je préfère faire confiance au lecteur. Je fais confiance à ce que j’appelle la démocratie de la lecture. Quand tout le monde à le droit de se faire sa propre opinion et de lire ce dont il a envie et d’en tirer ses propres conclusions. Alors oui, je fais confiance au lecteur. »
William Donohue, président de la Ligue catholique répond ainsi :
« Pullman ne fait pas confiance aux gens ! C’est pour ça qu’il essaye de glisser subrepticement son athéisme aux enfants. S’il avait un peu de courage, il défendrait son travail mais au lieu de ça, il continue de faire ce à quoi il excelle, l’art de la fourberie. C’est le même homme qui déclarait effrontément il y a quelques années : « j’essaye de saper la croyance chrétienne ». Maintenant, il dit qu’il n’est pas démocratique d’alerter les consommateurs sur sa rage anti-catholique. »
« À la Ligue catholique, nous n’avons pas peur d’affronter notre devoir. Qu’il est pitoyable de voir un homme dans la force de l’âge refiler en douce ses pilules empoisonnées aux enfants et prétendre ensuite qu’il fait confiance au lecteur. Nous sommes heureux de l’avoir démasqué. Et le film ne sort pas avant 5 semaines. Cela va être une belle empoignade. Espérons que Pullman sera à la hauteur. »
Ce genre de polémique peut se saper en étant trop partisane. Par exemple, on a parlé de Nicole Kidman (une des actrices du film) comme étant « soi-disant » catholique. Ainsi, un bloggeur a écrit : « Philip Pullman, comme tous les athées, aime déformer ses propos pour passer comme une « victime » face aux catholiques qui essayent de se défendre. En ce qui concerne Nicole Kidman, il faut qu’elle se rende compte que ce n’est pas parce qu’on a été élevée catholique qu’on est catholique. Je ne pense pas qu’elle soit honnête avec ce film. Après tout, elle fait partie d’Hollywood et on sait ce qu’ils pensent de l’Église catholique là -bas. »
Enfin, un journaliste alerté sur ces questions est allé voir le site Internet de Philip Pullman. Voici son analyse : « Ses romans sont assez critiques vis-à -vis de la religion mais Pullman lui-même réfute qu’ils soient anti-catholiques. Dans un post daté de 2004, qui est toujours accessible sur le site Philip-Pullman.com, il dit qu’il se bat d’abord contre « la nature fondamentale, littéraire du pouvoir absolu » et contre « ceux qui pervertissent et font un mauvais usage de la religion, ou de toute autre doctrine avec un livre sacré, une prêtrise et un appareil de pouvoir qui maintient une autorité incontestable afin de dominer les hommes et de supprimer leurs libertés ».
Les idées de Pullman méritent un réponse intelligente et non pas de la simple dérision ou un refus. Il soulève des questions importantes sur le rôle institutionnel de la religion, qui demandent des réponses réfléchies de la part de l’Église. Dans une longue interview sur le site Internet de Pullman, les questions/réponses suivantes sont tout à son honneur :
« À la croisée des mondes semble être contre les religions établies. Croyez-vous en Dieu ? »
« Je ne sais pas s’il y a un Dieu ou s’il n’y en a pas. Personne ne sait, quoiqu’on en dise. Je pense qu’il est tout à fait possible d’expliquer la naissance de l’univers sans passer par l’idée de Dieu mais je ne sais pas tout et il se peut qu’il y ait un Dieu, caché quelque part. En fait, s’il ne se montre pas, c’est parce qu’il a honte de ses partisans, de toute cette cruauté et cette ignorance dont ils font preuve en son nom. Si j’étais lui, je voudrai n’avoir rien à faire avec eux. »
Ce communiqué concerne le film et les attaques qu’il a suscitées avant sa sortie sur les écrans. Les discussions avec les éducateurs catholiques et les critiques littéraires en sont une autre étape o u il faudrait débattre plus en profondeur des implications religieuses ou athéistes des romans en question.
SIGNIS