1993 : l’album  » Debut  » consacre une chanteuse islandaise jusqu’alors inconnue du public français: Björk. Huit ans plus tard, à la veille de la sortie de  » Vespertine « , son sixième album studio en solo, elle est sans aucun doute devenue l’une des pop stars les plus en vue des deux côtés de l’Atlantique. Flash-back.

Premières lueurs de l’aube

Le 21 novembre 1965, mademoiselle Björk Gudmundsdóttir naît à Reykjavik. Elevée dans une communauté hippie par sa mère et son second mari, la petite Björk baigne dès son plus jeune âge dans une ambiance sociale et familiale très portée sur la musique :  » Il y avait de la musique vingt quatre heures sur vingt quatre à la maison. Tous les trucs de hippies. Du genre Joni Mitchell. Mais je ne dirai pas que Joni Mitchell c’est un truc! C’est le génie du siècle. Du Jimi Hendrix, du Cream et des vieux Clapton aussi. Et, euh… Lynyrd Skynyrd! Voila où sont mes racines musicales « .
Elle étudie la flûte, le piano et le chant et sort (à 11 ans !) un premier disque sobrement baptisé  » Björk « , composé de reprises de classiques du folk islandais et d’adaptations de  » The Fool On The Hill  » des Beatles et  » Your kiss is sweet  » de Stevie Wonder.
A la fois très responsable et éprise de liberté, Björk se démarque déjà : son passe temps favori consiste à courir les yeux fermés au milieu de la route (il lui reste d’ailleurs toujours une cicatrice en souvenir de cette époque). On retrouve déjà en elle cette étincelle de folie qui, bien plus tard, caractérisera sa musique. A quinze ans, elle forme son premier groupe, Tappi Tikarass, dont la musique punk fait penser aux premiers Cure. En 1983, suite a une émission radio, le second groupe de Björk voit le jour : ce sera Kukl, groupe post-punk à tendance jazzy. Abandonnant Tappi Tikarass, Björk se lance à fond dans cette nouvelle aventure musicale. En résultent deux disques et une tournée européenne (dont témoigne le quasi introuvable album Live enregistré à Paris pour le label Flux Rebel).
En 1986 le groupe se sépare et Björk épouse Thor Eldon, son amour d’adolescence. Ils ont un fils, Síndri Eldon Thorsson. Björk est, dès la naissance de son fils, très proche de lui (bien plus en fait que du père). Elle à une approche très fin de millénaire des rapports mère/fils :  » À mon avis, ce qu’il se passe quand on à un enfant très jeune, et c’est courant, c’est que cet enfant devient comme un ami, une personne plus qu’un fils. C’est ce qui nous est arrivé avec Síndri et j’en suis très heureuse. Évidemment il faut s’en occuper, le nourrir, l’habiller et tout le reste, mais un enfant est pour moi avant tout un compagnon « .
La légende veut que le jour de la naissance de Síndri les Sugarcubes aient également vu le jour. Fondé par les deux jeunes époux et quelques ex-membres de Kukl, les Sugarcubes rencontrent le succès dès leur premier single,  » Birthday « , en 1987, qui leur permet de signer chez Elektra (un label de Warner). Le succès est au rendez vous et le groupe sortira quatre albums (tous anglophones) entre 1988 et 1992. La dernière tournée des Sugarcubes se fera même dans des stades, devant des dizaines de milliers de spectateurs, en première partie de U2.
En 1990 Björk enregistre  » Gling-Gló « , un album de jazz vocal au sein du trio Guðmundar Ingólfssonar. Cette petite parenthèse en solitaire ainsi que sa participation à l’album  » Ex:El  » des 808 State lui donne envie de tenter d’autres expériences. Sa surexposition en tant que leader des Sugarcubes l’y ayant depuis longtemps préparée, c’est donc en toute logique qu’elle décide de se lancer en solo. Les chansons qu’elle accumule depuis des années sont enfin prêtes à voir le jour…

Zénith

En 1993, ayant définitivement coupé les ponts avec son ex-mari Thor, elle part s’installer en Angleterre avec Síndri pour travailler avec Nellee Hooper (producteur star anglais et ex Soul II Soul) à qui l’on doit, entre autres, tous les albums de Massive Attack. L’acclimatation à l’Angleterre ne se fait que progressivement. Björk pensent que les anglais  » ont cette maladie, la maladie de l’impérialisme, car il ne sont jamais remis d’avoir perdu toutes leurs colonies. Du coup, ils vous traitent un peu comme un trophée de chasse. Ils sont persuadés de m’avoir découverte ».
A sa sortie,  » Debut « , le résultat de leur collaboration, est acclamé par la presse internationale. Le succès public suit de près le succès critique : plus de trois millions de CD seront vendus (pour la petite histoire, One Little Indian, le label de Björk, espérait culminer à 30 000 exemplaires…) ! Björk est partout : en couverture des magazines, à la télévision, dans les galas internationaux (dont sa fabuleuse prestation live aux BRIT Awards de 1993 en duo avec PJ Harvey pour une reprise dévastatrice du  » Satisfaction  » des Stones).
Une tournée mondiale à guichets fermés viendra parachever ce triomphe.
Les plus grands rêvent de travailler avec la chanteuse : Madonna elle-même demande à Björk de lui faire l’honneur d’une collaboration (il en résultera le morceau  » Bedtime Story  » en 1994). Et la crème des remixeurs underground du moment va bien vite faire de Björk une diva techno. Underworld, 808 State, Black dog, The Sabres of Paradise, Bassheads, David Morales, Bomb The Bass ou encore Fluke. La raison principale de l’engouement des pontes du milieu techno pour la petite fée islandaise tient sans aucun doute à l’implication de Björk dans les remixes de ses chansons et à son respect des remixeurs, auxquels elle accorde autant de crédit qu’aux musiciens de formation classique.
De cette passion pour la musique électronique vont d’ailleurs naître deux albums de remixes. Le premier, baptisé du titre improbable :  » The Best Mixes From The Album Debut For All The People Who Don’t Buy White Labels  » sort en 1994 et se présente sous la forme d’une compilation destinée à faire découvrir un son plus expérimental à un public qui n’achète pas forcément de maxis. Une sortie relativement confidentielle en a fait un objet collector auprès des fans.
Sa seconde collection de mixes,  » Telegram « , date de 1996. Plus hétéroclite que  » The Best Mixes… « ,  » Telegram  » offre une vision d’ensemble des multiples facettes et personnalités de Björk : on y passe d’une techno violente et métallique à un susurrement quasi-autiste, en passant par des mixes aux relents hip hop. Plus que jamais, l’étendue quasi infinie du talent de l’islandaise y est démontrée.

Clair obscur

En 1995 Björk sort un second album studio,  » Post « . Ce cap, qui s’avère un tournant critique très risqué pour la plupart des artistes, se révèle pourtant un jeu d’enfant pour la chanteuse. Enregistré sur les plages des Bahamas,  » Post  » est moins facile d’accès que son prédécesseur car extrêmement avant-gardiste. Là où  » Debut  » était une collection de titres écrits sur plusieurs années  » Post  » est l’album de l’immédiat, constitué de compositions récentes. Les textes, eux, sont plus extrêmes que sur le premier disque :  » On peux dire que c’est l’album du divorce, j’ai rompu avec mon petit ami juste avant de me mettre à écrire les paroles. C’est aussi l’album du divorce d’avec l’Islande. Il y a beaucoup de choses sur la perte des racines qui crée ce mélange entre joie et peur « .
Ses collaborations avec Tricky, Howie B. ou Graham Massey (de 808 State) la poussent bien plus loin sur la pente d’une électronica novatrice et extrême.  » Post  » devient un point de référence : il y a désormais un  » son  » Björk, personne ne sachant véritablement définir et classer sa musique. Suit une seconde tournée à succès.
Mais la surmédiatisation écrasante dont elle fait l’objet commence à faire du tort à l’image de l’islandaise. La presse à scandales se penche sur son cas et sa vie privée se voit mise au premier plan. Björk a du mal à le supporter et, début 1996 à Bangkok, elle craque et s’en prend violemment à un journaliste trop collant. Pire, en septembre 1996 un homme se suicide après lui avoir envoyé une lettre piégée à son domicile de Londres…
Du coup la chanteuse se referme de plus en plus sur elle-même pour mieux s’investir dans son troisième album  » Homogenic « , qui sort fin 1997.
Comme son titre l’indique, ce nouvel opus est d’une homogénéité incroyable et s’écoute d’un bloc. Aidée de Mark Bell (leader du groupe techno LFO) Björk produit le disque elle-même. Les innovations sonores sont toujours au rendez vous, la construction de l’album étant cette fois axée autour des rythmes, des cordes et de la voix. Quant aux textes, ils se font bien plus introspectifs (et sombres) que par le passé, comme si Björk y exorcisait les démons de l’année écoulée.
L’accueil critique est dithyrambique, mais pour des raisons de santé, la tournée qui suit sera relativement brève et prendra place dans des salles plus petites.

Renaissance vespérale

Vont suivre trois années de silence auxquelles Björk ne nous a pas habitués. Son retour, en 2000, se fera en tant qu’actrice, dans le film de Lars von Trier  » Dancer In The Dark « , dont elle a également composé la bande-son ( » Selmasongs « ).
La Palme d’or remportée par le film, son prix d’interprétation et la mésentente entre la chanteuse et Von Trier durant le tournage font les gorges chaudes de la presse people.
Björk à énormément de mal à se sortir de son rôle :  » Les acteurs enchaînent sans doute facilement un rôle après l’autre. Selma continuait à vibrer en moi. Parce que mon imagination est très puissante, j’ai vraiment cru que j’avais été exécutée. Je suis rentrée en Islande un mois d’août, persuadée que j’avais tué un homme et que j’étais morte. L’hiver a passé. Mon cerveau n’arrivait toujours pas à m’expliquer que j’étais vivante. Il m’a fallu ressusciter au rythme des saisons. Ça a pris beaucoup, beaucoup de temps « .
Ce n’est qu’au printemps 2000 qu’elle parvient à redevenir elle-même et à se remettre à la musique. Son nouvel album est archi prêt, elle n’a pas cessé de composer pendant le tournage. Il est temps pour elle de tourner la page afin de pleinement revenir à ce qu’elle estime être sa priorité: la musique.
Il faudra malgré tout attendre la rentrée 2001 pour savourer  » Vespertine « .
Comme pour  » Homogenic  » Björk s’auto-produit. Elle se dit avoir  » été très influencée par son ordinateur portable et par l’impact d’internet sur la musique d’aujourd’hui. La plupart des rythmes de  » Vespertine  » viennent de l’idée que des sons, comme celui d’une harpe, auront, une fois téléchargés par quelqu’un, un son plus intéressant « .
Evoquant les ombres nocturnes, ce quatrième album studio est incroyablement fragile et personnel ( » Hidden Place « , le premier single). On y entend une Björk apaisée ( » It’s Not Up To You « ), comme libérée, même si, une fois encore, les textes sont parfois plus sombres que sur ses précédents disques (vespéraux en l’occurrence…).
Björk définit son disque comme  » une sorte de cocon « , quelque chose  » d’euphorique, mais de très intime », comme quand  » il fait noir dehors, mais que vous avez des bougies allumées à l’intérieur qui donnent à la pièce une espèce d’aspect magique « .
Cet aspect introspectif vient de sa quête d’un apaisement intérieur personnel:  » Il s’agit de parvenir à un état euphorique et à des instants d’extase, mais sans aucun stimuli extérieur. Tout ce qu’il vous faut est à l’intérieur de vous. Je suis bien consciente que ce paradis est artificiel, et du coup, pendant la conception, ça virait parfois au Disney. Avec des Bambis roses qui sautillent partout. Ce genre de choses. Je ne crois pas qu’il y avait beaucoup de Bambis roses sur  » Homogenic  » !  »
Le travail du son est ici encore plus pointu et étrange que sur  » Post « : les instruments deviennent un solo de cartes à jouer en train d’être battues ou des bruits de pas dans la neige. A noter, la présence du groupe avant-gardiste Matmos sur plusieurs titres (ne pas rater leur remix de  » Crave  » comprenant des cris de canards !).
Reste à savoir ce que le petit elfe islandais nous réserve pour la tournée 2001 (imminente)…

Site officiel : www.bjork.com

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