La conversion

La conversion
Photo by Mohamed Nohassi / Unsplash

L’autre jour, j’écoutais un documentaire sur Cat Stevens… ou Yusuf Islam. Comme il y avait longtemps que j’avais écrit dans la section spiritualité… je me suis dit que le succès populaire remporté par le dernier album de Yusuf, Another Cup, n’était peut-être pas étranger à toute cette histoire de conversion religieuse que le monsieur a vécu. Bref… la conversion de Yusuf est aussi celle de plusieurs personnes. Soit dit en passant, cette conversion peut-être religieuse, politique, spirituelle etc.
Je compare souvent la conversion au reformatage d’un disque dur. Ce n’est pas nécessairement une action intéressante à faire, il peut arriver tout plein de bugs (donc on n’en connaît pas le résultat à l’avance), mais c’est une opération nécessaire à faire si on veut recommencer à neuf! Normalement, lorsqu’on reformate son disque dur, c’est que notre ordi est lent, embourbé de programmes ou de restants de programmes plus ou moins utiles, on aimerait faire de la place pour du neuf etc. Et après, est-ce que tout sera pour le mieux? Est-ce que ma machine fonctionnera correctement? Donc à la base on est insatisfait, voilà ce qui nous pousse à accomplir cette action. L’analogie, comme toute analogie semble boiteuse… comparer l’être humain à un ordinateur!!! En effet, la seule différence, c’est qu’avec l’ordinateur, avec un peu de connaissance informatique on est presque capable de prévoir le résultat final… ce qui est moins certain avec la conversion d’un être humain.

Je définis ici la conversion comme étant un changement idéologique majeur chez une personne, changement tellement profond qu’il s’inscrit dans une démarche souvent longue et pénible et qui résulte en une transformation du mode de pensée… donc du mode de vie et d’action d’une personne.
Bien évidamment, l’être humain évolue dans une société, dans un famille, dans différents cercles d’amis. Souvent la période de conversion est semée d’embûches au niveau des relations interpersonnelles. L’entourage, les amis ou la famille d’un individu ne le reconnaît plus etc. On se demande qu’est-ce qui a bien pu causer un tel revirement. Après tout, l’entourage n’a souvent jamais exigé de changement pour cette personne, il l’aime comme elle est. Cependant, on parle ici de la conversion d’une personne, d’un changement radical qui transparaît dans les paroles et les gestes et les interactions avec les gens de l’entourage. Difficile alors d’être reconnu par des gens qui nous ont connu et aimé d’une manière fixée dans un temps donné. Un temps ou même le converti reconnaîtra qu’il était un autre individu se comportant d’une manière qui aujourd’hui lui parait surannée.
Chaque conversion est différente en soi, mais elle semble suivre un même schème chez la plupart des gens. Bien sûr, il y aura un événement déclencheur qui amorcera cette grande remise en question. Bien sûr, les questions existentielles sont sous-jacentes à ce grand chamboulement. Pourquoi, vouloir changer alors? Le sentiment d’aller nulle part, de n’avoir pas d’emprise sur sa vie, de vivre un vide existentiel, ou de simplement vouloir se démarquer de la masse parcequ’on trouve qu’on y a perdu sa propre identité. Le désir de croire en quelque chose est aussi important. La croyance peut être multiple, politique, religieuse, magique etc.! C’est souvent elle qui guide nos actions, et qui devient notre moteur au niveau de la pensée et de l’agir.
La conversion se voit souvent comme un rituel de passage ou une quête initiatique. Mais ce qui embrouille les pistes, c’est qu’à prime abord, le rituel ne semble pas voulu par la personne. Cependant, suite à un élément déclencheur qui peut se traduire de différentes manières ( questions persistantes, idées religieuses qui nous paraissent étrangères, nuit mystique, paroles d’une personne etc.) une grande période de questions et de réflexions s’amorce chez l’individu. Cette, période peut durer très longtemps, est souvent source de tourment pour la personne qui ne se reconnaît plus elle-même. Pour Cat Stevens ce fut l’expérience d’une mort imminente qui fut le grand déclencheur. * Mais selon ses amis, un sentiment d’insatisfaction et de vide face à différents domaines de sa vie l’avait toujours habité. Dans le domaine religieux, on utilise souvent l’histoire de St-Paul sur le chemin de Damas pour expliquer cet élément déclencheur.
Puis vient le moment où la personne atteint un seuil. Celui où elle peut regarder sa vie passée, se dire je ne sais pas vraiment où je m’en vais mais je sais que je dois y aller et sauter à pieds joints dans un vide. Cette période est assez troublante. Certains individus voient ce point de non-retour et essayent de tout faire pour repousser ce passage le plus loin possible. Et c’est souvent ce qui cause un malaise puisque tôt ou tard, on sait qu’on n’a pas nécessairement le choix, on est engagé dans un processus vital sur lequel nous n’avons pas vraiment de contrôle. (C’est sûrement ce phénomène, perçu comme un manque de contrôle sur sa vie, qui peut faire développer l’idée d’une déité ou d’un Tout-Autre qui nous mène on ne sait où mais en qui nous devons avoir confiance bien que souvent cette idée remontre très loin dans la vie d’une personne)
Après ce saut dans le vide, la personne continue à progresser à sa manière, elle voit qu’elle a survécu à un événement assez troublant. Cette période est riche en apprentissages de toutes sortes puisqu’on voit maintenant les choses sous un angle différent. La personne constate vraiment que le changement était nécessaire, bien souvent elle revoit son passé et se demande comment elle a fait pour vivre ainsi…et parfois, lors de la relecture de sa vie, une certaine honte d’avoir vécu de cette façon se pointe. C’est souvent ce qui amène le converti à tirer un trait sur son passé. Il se voit comme deux entités différentes « L’ancien : mauvais et tête en l’air » et « Le nouveau : amélioré, plus réfléchi et évoluant avec plus de certitude ». Ici, il y a un grand piège : comment vivre en étant une seule et unique personne mais en parlant et en se voyant soi-même scindé en deux? L’entourage, qui aimait bien « L’ancien » ne comprend pas la démarche. Le converti « Nouveau » ne comprend vraiment pas l’entourage d’aimer « L’ancien »… bref, certaines prises de becs sont à prévoir dans un tel contexte.
Il faut par ailleurs bien expliquer que lorsque le converti se retrouve dans cette phase, il se sent le propriétaire d’une certaine Vérité qu’il aimerait bien faire partager à son entourage par pur utilitarisme… puisque cela a fonctionné pour lui! Cependant, la personne qui converse avec des gens qui n’ont pas fait le même chemin est perçue comme faisant (et souvent elle en fait) du prosélytisme parcequ’elle essaie de convaincre.
Pour relier tout ceci à notre ami Cat Stevens… qui est maintenant devenu Yusuf Islam, ce serait sa période musicale entièrement dédiée à la religion qu’il a décidé d’embrasser. Cette période où les gens ont commencé à le fuir puisqu’ils ne reconnaissaient plus celui qu’ils avaient connu. D’ailleurs Stevens, n’était lui-même pas intéressé à continuer à chanter ses anciennes chansons.
Toute cette démarche se déroule sur plusieurs années et ce elle n’est pas garante d’une conversion réussie. Un individu, par lui-même, peut stopper et faire stagner la démarche très longtemps. La conversion réussie se voit lorsque la personne est capable de rallier « L’ancien » et « Le nouveau » et de comprendre que cela ne fait qu’un tout. C’est une idée qui, vite fait, peut paraître d’une évidence incroyable. Cependant, lorsqu’on est impliqué dans la démarche il est souvent difficile d’avoir une vue d’ensemble de la situation. Je crois que si l’album Another Cup a bien fonctionné cette année, c’est que c’est un excellent album, mais aussi parce que l’artiste a compris que Cats stevens et Yusuf étaient une seule et même personne. Je crois que le public l’aura compris puisqu’ils se sont procuré un album sous le nom de « Yusuf » (comment le manquer… c’est tellement gros sur la pochette) mais ils ont retrouvé leur Cat Stevens.
*Alors qu’il se baignait, Stevens a été pris dans une lame de fond et se rappelle qu’il ne voyait pas comment il allait s’en sortir. Avant de périr, il aurait demandé à Dieu de la sauver. Il ne sait pas comment cela s’est passé, mais après un blackout, il était sur la plage vivant. C’est alors qu’il s’est mis à recherche un sens à tout cela… dans le bouddhisme puis ensuite, dans l’Islam.