Pour ma belle-mère qui ne comprend pas toujours son fils, voici un texte qui aurait pu être écrit par mon époux.

Les deux jours qui viennent de s’écouler furent le deuxième pire week-end de mon année.
Durant ces deux jours, ce que j’étais a été insulté, injurié, calomnié, dénigré, diffamé, pointé du doigt. On m’a vomi, on m’a roulé dans la boue, on m’a frappé, on m’a craché au visage.
Durant ces deux jours, on m’a meurtri.
Ce n’est même pas qui j’étais qui était rejeté, mais ce que j’étais. Ce n’est même pas personnel, je ne fus même pas une personne.
Durant ces deux jours, je ne fus même pas considéré comme quelqu’un.
J’étais les homosexuels.

Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse à ce point détester quelque chose.
D’autant plus quand ce quelque chose est quelqu’un.
J’ai lu des gens qui prônait la re-pénalisation de ce que j’étais.
J’ai entendu des gens qui scandait que mon amour pervertissait la société.
J’ai vu des gens défoncer la gueule de ce que j’étais.
J’ai lu, entendu et vu tellement d’horreurs que j’ai fini par en pleurer.
Je souffrais. Epidermiquement.
J’étais haï pour quelque chose qui à la fois me définit et qui pourtant n’est rien.
En discutant avec mon entourage, je me suis rendu compte que, bien sûr, cela n’est rien. Parce que comme eux, j’achète des vêtements, je mange des cheeseburgers, je prends le métro pour aller travailler. Comme eux, j’ai été amoureux, je pleure et je fais pipi. Et pourtant, j’ai pris conscience qu’être homosexuel, c’est aussi comprendre que tous ceux qui ne le sont pas ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas ta tristesse, ta colère, ce qui t’arrive, que tu pleures devant eux. Ils ne comprennent pas pourquoi tu souffres de toute cette haine.
J’ai pensé à mes potes juifs, à mes potes musulmans, à mes potes noirs, à mes potes filles. A tous ces gens qui sont rejetés pour ce qu’ils sont eux aussi.
Mais il fallait être homosexuel pour comprendre à quel point ce rejet, cette violence était abjecte.
Deux personnes ont néanmoins compris, m’ont réellement compris.
Mes parents.
Être rejeté, c’est intolérable. Mais rejeter le fruit de ton amour et de ta chair, c’est apparemment encore pire.
J’ai entendu ma mère me dire d’arrêter de pleurer, de ne pas me laisser abattre. Me consoler en me disant d’être fort.
J’ai entendu ma mère me dire qu’elle avait vu Simone Veil se faire insulter de salope, des mois durant, sans baisser la tête. Et elle avait vaincu.
J’ai entendu ma mère me dire qu’elle se battait, elle aussi, auprès de ceux qui étaient contre.
J’ai entendu ma mère me dire que si toute cette arrière-garde manifestait avec autant de virulence, c’est qu’elle savait avoir déjà perdu. Que je devrais finalement me réjouir de toute cette abjection. C’était synonyme de leur mort. A eux.
Et puis il y a eu ce message de mon père. Si dur, et si beau. Si empli de rage contre tous ceux qui me faisait tant de mal. Et comme toujours si impeccablement écrit.
Il m’a écrit qu’ils avait vu ces même connards défiler pour l’Algérie française, pour l’ordre en 1968, contre l’avortement, pour l’école libre…
Il m’a écrit qu’il fallait laisser. Que le plus important, c’est qu’il n’y aurait pas de demi-tour.
Il m’a écrit de leur clamer que lui, il avait un enfant homosexuel et qu’il ne faisait pas partie de leur France. Qu’il les emmerdait. Qu’il les emmerdait.
Durant ces deux jours, j’ai été insulté, injurié, calomnié, dénigré, diffamé, pointé du doigt, vomi, roulé dans la boue, frappé, et craché au visage. Mais durant ces deux jours, j’ai reçu les plus belles preuves d’amour pour ce que j’étais. Et pour qui j’étais.
Et au final, rien que pour ça, vous avez perdu, bande de connards.

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